La théologie du corps a été développée par saint Jean-Paul II pour les couples et les familles. Elle offre une intelligence en profondeur de la nature du corps et du plan d’amour de Dieu. Première partie : qu’est-ce que ce plan d’amour ? En quoi a-t-il été abîmé par le péché ?
Aux origines, l’homme et la femme sont icône de la Trinité
Le péché originel : de la communion à la captation
Quand le cardinal Wojtyla accède au trône de Saint-Pierre, sous le nom de Jean-Paul II, nul (ou si peu de personnes) ne se doute que ce pape polonais, quasi inconnu, transporte dans ses bagages une bombe… théologique : la « théologie du corps ». C’est-à-dire une vision du corps, du mariage et de la sexualité d’une ampleur tellement « révolutionnaire » qu’elle en élimine définitivement toute gêne, tout reste de méfiance ou de pessimisme à propos des questions de sexualité.
Celui qui est devenu le saint patron des familles a en effet toujours refusé de considérer ces questions à travers les lunettes rétrécissantes du permis/défendu ou le prisme desséchant de la raison seule. Il a cherché à retrouver la splendeur du message biblique qui affirme, dès les premières pages de la Genèse, que le corps, la sexualité, en tant que dons de Dieu, sont des choses belles et bonnes. Et même plus que cela : elles nous révèlent l’être de Dieu. Abîmées par le péché, elles ont été rachetées par Jésus Christ, et élevées à une vocation plus haute encore. Ce n’est pas malgré, mais par et à travers la sexualité que le mariage est un chemin de sainteté.
À l’heure où beaucoup ont du mal à durer dans le mariage, à comprendre la position de l’Église sur les questions d’éthique sexuelle, à l’heure où les identités féminine et masculine sont brouillées, la théologie du corps offre un éclairage novateur et enthousiasmant sur l’homme[1].
Aux origines, l’homme et la femme sont icône de la Trinité
« Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! » s’exclame Adam lorsqu’il découvre Ève (Genèse 2, 23). Ce premier cri de joie de l’homme devant la femme n’a pas été : « Esprit de mon esprit » ou « Intelligence de mon intelligence » !
L’homme a été créé corporel : c’est ce qui fait sa grandeur, sa dignité. Les anges, ces êtres uniquement spirituels n’ont pas, eux, été créés « à l’image de Dieu » (Genèse 1, 27)… En effet, c’est par le corps – jusque dans l’acte sexuel – que l’homme et la femme entrent en communion. Et c’est ainsi qu’ils réalisent l’image de Dieu. Car Dieu est une communion d’amour parfaite entre les trois Personnes divines, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, où chacun se donne et se reçoit des autres dans une unité et, à la fois, une distinction parfaite.
Être une personne, c’est exister comme être de don, trouvant son plein accomplissement dans la communion.
Yves Semen
Dans l’intention divine, le sexe n’est donc pas un attribut accidentel de la personne. L’homme peut se donner à cet alter ego qu’est la femme parce qu’il y a cette différence sexuelle, qui n’est pas seulement corporelle, mais aussi spirituelle, affective, psychologique. C’est dans et par cette différence qu’il y a une possibilité de don et de communion. C’est dans la joie de la communion de ces complémentarités qu’il y a une fécondité : fécondité de l’Esprit Saint dans la Trinité divine, fécondité charnelle dans le cadre du couple humain.
Tel était le plan de Dieu à l’origine : que l’homme et la femme, dans leur communion, soient l’image de l’amour trinitaire. Cet état des origines, où le mariage était établi dans la sainteté, a été perdu à cause du péché originel.
Cependant, chaque couple en a comme la nostalgie, en pressentant confusément qu’il est appelé à réaliser quelque chose de grand à travers sa sexualité. La vocation de l’homme à exprimer, par le don de son corps, la totalité du don de sa personne, demeure…
Le péché originel : de la communion à la captation
Le péché originel est une rupture volontaire de l’homme et de la femme avec le plan de Dieu. Ce péché est tellement grave qu’il a des conséquences sur la nature même de l’homme.
Le péché originel, c’est quoi ?
En désobéissant à Dieu qui leur avait enjoint de ne pas « manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », le premier homme et la première femme ont exprimé un refus de dépendre de leur Créateur.
Ce péché d’orgueil a consisté à lui dire, en quelque sorte : « Je ne dépendrai pas de toi ; je ne veux pas recevoir de toi le principe de distinction du bien et du mal ; je veux en décider par moi-même. » C’est un acte radical de rupture avec la communion divine, car l’homme veut croire qu’il peut être sa propre cause. C’est enfin un refus d’amour : l’homme n’a pas compris qu’en acceptant cette dépendance, il répondait avec amour à un acte d’amour.
Dans les relations humaines, tout un cortège de conséquences désagréables découle de cette rupture : révolte, souffrance, incompréhension, accusation, honte sexuelle, domination… Tout ce que peuvent éprouver les couples d’hier et d’aujourd’hui comme entraves à la communion.
Le péché originel a en effet engendré une division. Une désunité dans la personne même, entre son regard et son cœur : alors que, dans ce dernier, résonne encore l’appel à la communion des origines, le regard, lui, est comme brouillé, contaminé par un désir d’utiliser l’autre pour son propre plaisir – ce qu’on appelle « concupiscence » ou convoitise.
Et cette division intérieure finit par rejaillir sur les relations de l’homme et de la femme : il y a une manière de regarder qui transforme le regard de l’autre. En effet, l’homme qui regarde une femme pour la désirer, c’est-à-dire dans une intention non de don, mais de captation, met cette femme en situation de porter sur lui-même un regard semblable, la met en état de désirer à son tour :
Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.
Matthieu 5, 27-28
Notons au passage que l’adultère peut se faire avec sa propre femme – ce qui, mal compris, a provoqué une levée de boucliers contre Jean-Paul II qui osa en parler la première fois. Jésus ne dit pas « Tout homme qui regarde la femme d’un autre », mais « une femme » : ce peut être aussi bien la sienne ! Car l’essence de l’adultère, c’est le fait de contrevenir à la signification conjugale, sponsale, du corps : le corps n’est plus moyen de communion, mais moyen de jouissance égoïste.
Cette division engendre par exemple des rapports de domination. Devant la puissance de son désir sexuel, l’homme peut être tenté d’imposer à la femme son propre rythme sexuel, sans écouter ses désirs profonds… jusqu’à réclamer qu’elle transgresse les lois de sa fécondité par des pratiques contraceptives. De son côté, la femme peut aussi être tentée d’utiliser l’union sexuelle comme moyen subtil de manipulation et de domination de son mari. Et bien sûr, quand la sexualité est vécue de manière captatrice ou dominatrice, comment parler de communion ?
Le tableau semble bien noir ! Il était nécessaire néanmoins de le brosser pour comprendre combien il est difficile d’aimer en vérité et savoir d’où vient ce mystère du mal dont chacun fait l’expérience. Pour saisir aussi que ce mal vient du cœur de l’homme, qui a été troublé par le péché, et non de son corps ou de sa sexualité, qui restent bons en tant que tels.
Cependant, si l’homme a été abîmé par le péché, il n’a pas été détruit pour autant. Et le Christ restaure sa capacité à aimer, la fait même grandir. Dans le sacrement du mariage, il lui donne la grâce qui combat, à l’intime de son cœur, les effets du péché.